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Olivier Nattes Être monde

Olivier Nattes Être monde (2021)
Olivier Nattes est un artiste protéiforme au parcours atypique. Son travail s’appuie sur une exploration des phénomènes naturels, parce que « ce sont ces phénomènes qui créent nos conditions d’existence ».

Ses recherches et productions abordent un large champ : sciences du vivant, architecture, paysagisme, design spéculatif et écosophie. La sculpture, le dessin, l’installation, font partie de ses pratiques courantes, comme on a pu le voir lors de son exposition personnelle La suite finira bien par arriver au château de Servières (2019). Pour cette proposition sur le plateau expérimental du Frac, dans le cadre de Paréidolie, il pousse plus avant ses recherches. Entre autres, des graines comme matériau du dessin et le bambou comme matériau de construction vivant seront ses outils.

Dans ma pratique, la question de l’exploration des phénomènes du vivant est centrale, tout comme les questions qui devraient présider à notre façon d’habiter notre « vaisseau terre » et les modalités de construction de ces formes, qui impactent notre environnement. Récemment, Vinciane Despret, philosophe et auteur d’Habiter en oiseaux, disait : « habiter c’est d’abord cohabiter ». J’ajouterai coexister.
Dans la nature, aucune substance n’est synthétisée si sa dégradation n’est pas assurée ; le recyclage s’applique comme règle. Dans mon quotidien, je limite mon impact environnemental du mieux que je peux. Cette philosophie guide beaucoup d’entre nous, pour qui une forme de bienveillance envers le vivant est source de satisfaction et de mieux-être. Cette nouvelle conscience plus altruiste devient naturelle : il ne s’agit pas de se contraindre mais plutôt de retrouver un lien harmonieux et sensible avec le vivant. C’est avec ces mêmes postulats que je tente d’élaborer de nouveaux paradigmes, opérationnels, dans une forme d’esthétique politique, comme par exemple : la Nourrice, un jardin forêt comestible et habitable, près de Toulouse, ou le restaurant solaire le Présage à Marseille. Ces deux réalisations sont des modèles sociaux économiques et territoriaux pleinement résilients.

Être monde, c’est étendre sa sphère de conscience à l’étendue de notre biosphère ; faire corps avec comme un seul être. C’est donc porter un regard réaliste sur la situation catastrophique d’aujourd’hui, en termes d’effondrement des espèces et des écosystèmes. Nous sommes totalement dépendants de ces strates du vivant : d’un point de vue respiratoire, alimentaire, mais aussi affectif. Certains soirs, je n’arrive pas à fermer les yeux sur ces disparitions annoncées. Un terme désigne ce sentiment nouveau, la solastalgie. Pour autant ce sentiment anxiogène n’est pas viable. Il faut donc utiliser les ferments qu’il contient, ou le renverser, pour changer de vision et élaborer de nouveaux processus, à même de faire involuer les processus dégradatifs en cours. Continuer à développer de nouvelles alliances avec le vivant, du dialogue interspécifique… Ce sont des perspectives de travail très enrichissantes qui offrent un renouveau formel et philosophique. Sous une forme poétique, c’est ce que je tente de faire ici. Au plateau expérimental du Frac, deux projets se répondent et dialoguent avec l’architecture du bâtiment. D’abord une pratique du dessin abordée au château de Servières, avec l’utilisation de graines de chia, Salvia hispanica, et d’eau, rien de plus. Ces petites graines agissent chacune comme un point du dessin et me permettent de réaliser de grandes fresques. À la fin de l’exposition, les graines sont grattées puis replantées. Au travers de ce processus, le dessin redevient plante, celle-ci refleurit, recrée des graines qui peuvent être récoltées pour élaborer de nouveaux dessins. C’est un cercle vertueux. Dans le cadre d’une fresque réalisée en extérieur, comme au jardin du Refuge à Marseille, ce sont les insectes et les oiseaux qui s’en nourrissent, ou la pluie et le vent qui se chargent de la disséminer. Sur le plateau expérimental, cette fresque fait apparaître les phénomènes sous-jacents invisibles, présents au sein d’une installation placée dans l’exposition. Ce dessin est aussi un plan de fabrication de ce dispositif, qui vise à présenter un concept de construction nouveau, que je nomme « architecture auto-générative », et qui utilise le bambou. Il s’agit d’un projet d’habitat, dont la matière constituante est produite par la forme même qui le contient. Cette forme, à la fois comprise dans le dessin mural et le dispositif, façonne une construction mentale projetée, à l’image de la paréidolie : un ensemble de signes, descriptifs d’un possible devenir, associé à ce devenir construit, devenu réel.
Olivier Nattes, Marseille, mars 2021

Publié le 26/04/2021


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