Avec l'auteur, le metteur en scène lillois partage une passion du théâtre qui l'a incité à adapter le roman à la scène (comme il l'avait fait il y a quelques années avec David Copperfield). Rien n'y manque, ni les personnages, nombreux à se croiser dans un récit aux multiples niveaux, ni la finesse du travail du livre das la construction des personnages et de leurs enjeux. Comme Dickens, Sarrazin distille ses informations et comme Pip, le spectateur se trouve lancé dans cette fuite en avant à la poursuite d'un statut social.
Pour autant, on est là bien loin d'Emile Zola ou d'Honoré de Balzac, la langue de Dickens, absorbée et rendue par Dominique Sarrazin, s'y fait vivante et la construction de son récit passionnante. Chacun des personnages s'y révèle plus que la caricature qu'il laisse deviner de prime abord. En cela, les comédiens donnent très joliment corps à des personnages fouillés, en peu de scènes et peu de mots. De la même façon, la mise en scène, compose avec peu pour figurer beaucoup. Des marais sombres bordant la côte aux rues de la capitale anglaise, éclairages et accessoires se mettent au service d'un regard saisissant sur la société anglaise mais aussi sur la soif de réussite et le bonheur supposé l'accompagner. Si quelques scènes manquent un peu de rythme, voilà néanmoins un théâtre diablement vivant, un hommage réel aux écrits et à la personne de Dickens de même qu'un regard sur les hommes qui n'a pas pris une ride. Un pari théâtral tenu qui fait le choix courageux d'une large distribution, ce qui devient assez rare pour être souligné.